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Le tatouage : vers un ternissement de la pratique dans l'Union européenne ?

  • Photo du rédacteur: Adonis Rodrigues
    Adonis Rodrigues
  • 15 déc. 2021
  • 6 min de lecture

Ami.e.s tatoueurs.euses, ami.e.s tatoué.e.s et non tatoué.e.s, peut-être avez-vous entendu parler de l'interdiction de certains pigments et substances dans les encres de tatouage que souhaite poser l'Union européenne. Tout cela provient du Règlement (UE) 2020/2081 de la Commission européenne du 14 décembre 2020, venant modifier l'Annexe XVII du règlement (CE) 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil.

Ainsi, à partir du 4 janvier 2022, de nombreuses encres colorées ou noires contenant dans leur composition l'une des 4000 substances ou l'un des 25 pigments prohibés ne vont plus pouvoir être produites et utilisées. Les pigments Blue 15:3 et Green 7 entrant dans la composition de nombreuses encres de couleur, seront interdis, eux, à partir du 4 janvier 2023.

Cette initiative provient d'une étude menée par l'Agence européenne des produits chimiques, ou ECHA, à la suite d'une demande de la Commission européenne en 2015. Alors que selon ses estimations 12% des européens seraient tatoués, ECHA soutient que « de nombreuses substances sont susceptibles de provoquer des cancers ou des mutations génétiques en migrant de la peau vers différents organes, tels que le foie. Étant donné que les produits chimiques utilisés dans les encres de tatouages et le maquillage permanent peuvent rester dans l'organisme toute la vie, il existe un risque d'exposition à long terme aux ingrédients potentiellement dangereux ». L'UFC Que Choisir a aussi mené une étude en février 2021 dans laquelle elle constate que « plus d'une encre sur trois possède des colorants cancérogènes et interdits ».

Cependant, ce constat divise. Alfred Bernard, toxicologue à l'UCL Louvain, précise que ces colorants sont aussi présents dans de nombreuses colorations pour les cheveux et que « ces produits n'ont pas particulièrement développé de cancer ». Il n'a pas pour autant un avis tranché sur la situation et garde un certain recul : « ces substances ne représentent pas un grand danger pour les tatouages. Il n'y a pas lieu de s'alarmer car il n'y a pas de risque important. Aucune donnée ne montre précisément qu'elles ont provoqué des cancers » même si « il est vrai qu'elles aient un potentiel cancérogène ».

De même, les professionnels du tatouage reconnaissent que ces substances peuvent être cancérogènes, mais qu'aucune étude n'a démontré une corrélation réelle entre les tatouages et le cancer d'une personne désignée. Ils restent tout de même inquiets. Plusieurs témoignent d'une peur que des salons clandestins se développent dans lesquels ces encres seraient utilisées, ou de ne plus être en concurrence avec des salons en dehors de l'Union européenne, ayant eux l'autorisation de les utiliser. Nombres des couleurs ne pourront plus être utilisées, ce qui risque de changer grandement les habitudes des professionnels du tatouage en couleur, et même de mettre leur métier en péril.

Les dispositions du Règlement vont interdire près de 40% des encres de couleurs, passant à plus de 60% en 2023 avec les pigments vert et bleu en moins. Le délai extrêmement court ne laisse donc aucune possibilité d'adaptation, tant pour les tatoueurs.euses que les fabricants. L'Union est alors vue comme surprotectrice, d'autant plus qu'elle prohibait déjà de nombreuses substances comparées à des pays comme les États-Unis. De plus, l'étude menée par ECHA utilise des termes ne laissant suggérer que des suppositions : « susceptibles », « peuvent », « potentiellement ».

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A cette suite, un tatoueur autrichien, Erich Mähnert, a lancé une pétition officielle en 2020 sur le site du Parlement européen. Il y indique « une interdiction à l'échelle européenne […] aurait d'importantes répercussions négatives sur la compétitivité économique des tatoueurs et pigmenteurs européens par rapport aux prestataires de services en dehors de l'Union et mettrait en péril son existence. Les consommateurs pourraient se tourner vers des fournisseurs à l'étranger ou des opérateurs sauvages ». Elle réunit aujourd'hui plus de 170 800 signatures.

Le Syndicat national des artistes tatoueurs et des professionnels du tatouage (SNAT) soutient cette pétition et reste clair sur ses intentions, qui ne vise pas à empêcher l'entrée en vigueur du texte, mais « une tentative d'ouvrir un dialogue avec les parlementaires de l'UE sur la problématique des pigments ».

Il mentionne aussi que « la limitation de plusieurs substances est un principe positif en soi, mais les différents experts (chimistes, fabricants, analystes…) sont tous d’accord sur le fait que les seuils sont globalement trop bas, à la fois en termes de cohérence (aucun argument technique propre au tatouage) et de contrôle » et témoigne d'une peur que les conséquences retombent principalement sur le consommateur. Tout comme certains tatoueurs.euses, tels que David D'sign, en Haute-Marne, ils affirment que « les personnes iront se faire tatouer ailleurs ou dans l'illégalité par des gens malhonnêtes qui se procurent les encres de façon toute aussi illégale, ou qui les achètent sur Amazon et Wish, puisque c'est la mode chez certains de commander des encres de mauvaise qualité sur ces sites, elles sont moins chères et aussi moins vérifiées. Finalement, cette interdiction ne protégera pas le consommateur, elle le rendra plus à même de faire les choses mal et de prendre des risques pour sa santé ».

Le constat semble être le même partout en France et dans l'Union européenne. Une tatoueuse du nom de Flore rajoute que des alternatives peuvent exister mais qu'elles restent coûteuses, comme utiliser des pierres précieuses telles que le lapis-lazuli.

En définitive, l'on voit donc une certaine sincérité de la part des professionnels du tatouage, qui s'inquiètent forcément de l'avenir de leur art, mais qui prennent en compte surtout la santé et le bien-être de leurs clients. De même, il est aussi possible de voir que l'Union prend très au sérieux les questions relatives à la santé, puisqu'elle met en œuvre ici son principe de précaution afin de prévenir les risques potentiels.

Cependant, quand bien même cette démarche lui serait louable, il apparaît, au vu des différents témoignages des professionnels du tatouage et du SNAT, que la mesure semble disproportionnée. La pétition est toujours en ligne, et est disponible à la signature, afin de les faire entendre et tenter des négociations. Il serait par exemple envisageable de mettre en place une interdiction plus progressive des substances et laisser ainsi du temps pour que les fabricants et les tatoueurs.euses puissent s'adapter.


Bibliographie

Articles en ligne


AGGIOURI Timour, « Tatouages : 25 pigments interdits à partir de janvier 2022 », Dossier Familial, [En ligne] 7 décembre 2021. [Consulté le 12 décembre 2021]. Disponible sur : https://www.dossierfamilial.com/actualites/vie-pratique/un-nouvel-encadrement-des-tatouages-a-partir-de-janvier-2022-900093

CORBEEL Sarah, « Tatouages : 75% des encres utilisées présentent un risque sanitaire grave », Dossier Familial, [En ligne] 18 février 2021. [Consulté le 10 décembre 2021]. Disponible sur : https://www.dossierfamilial.com/actualites/social-sante/tatouages-75-des-encres-utilisees-presentent-un-risque-sanitaire-grave-879099

GUILLOT Dominique, « Tatouage : des encres interdites dès 2022 par l'Union européenne, les professionnels voient rouge », Ouest France, [En ligne] 29 septembre 2021. [Consulté le 12 décembre 2021]. Disponible sur : https://www.ouest-france.fr/sante/tatouage-des-encres-interdites-des-2022-par-l-union-europeenne-les-professionnels-voient-rouge-2d0f1ece-20f5-11ec-8998-56362f09f2a2

La rédaction, « Des pigments utilisés pour les tatouages interdits dès 2022, le syndicat des artistes monte au créneau », Nice-matin, [En ligne] 19 octobre 2021. [Consulté le 11 décembre 2021]. Disponible sur : https://www.nicematin.com/sante/des-pigments-utilises-pour-les-tatouages-interdits-des-2022-le-syndicat-des-artites-monte-au-creneau-721624


PENNEL Felix, « Tatouages : plusieurs couleurs interdites dès janvier 2022 », La voix du Nord, [En ligne] 28 septembre 2021. [Consulté le 9 décembre 2021]. Disponible sur : https://www.lavoixdunord.fr/1076564/article/2021-09-28/tatouages-de-couleurs-plusieurs-pigments-interdits-des-janvier-2022


ROBERFROID Anthony, « Des couleurs de tatouages interdites en 2023 : réel danger ou surprotection de la part de l'Europe ? », RTBF.be, [En ligne] 28 septembre 2021. [Consulté le 10 décembre 2021]. Disponible sur : https://www.rtbf.be/info/societe/detail_des-couleurs-de-tatouages-interdites-en-2023-reel-danger-ou-surprotection-de-la-part-de-l-europe?id=10850280


SERDIC Lucas, « Les tatouages en couleur dangereux pour la santé ? Pourquoi l'Europe interdit l'usage de plusieurs encres dès 2022 », La Depeche, [En ligne] 17 octobre 2021. [Consulté le 10 décembre 2021]. Disponible sur : https://www.ladepeche.fr/2021/10/13/tatouages-linterdiction-de-plusieurs-encres-de-couleur-bouleverse-la-profession-qui-denonce-une-injustice-9848437.php

TRESPEUX Aurore, « Interdiction des encires colorées dans les tatouages : pourquoi les professionnels et les clients s'insurgent ? », France 3 Grand Est, [En ligne] 8 octobre 2021. [Consulté le 13 décembre 2021]. Disponible sur : https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/haute-marne/saint-dizier-0/interdiction-des-encres-colorees-dans-les-tatouages-pourquoi-les-professionnels-et-les-clients-s-insurgent-2285527.html


Texte juridique


  • Acte de la Commission


RÈGLEMENT (UE) 2020/2081 DE LA COMMISSION du 14 décembre 2020 modifiant l’annexe XVII du règlement (CE) n°1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), en ce qui concerne les substances contenues dans les encres de tatouage et les maquillages permanents, JO L 423/6 du 15 décembre 2020, p. 6-17.

Sites internet


Image

SNAT, « Exemple de palette issue d'une marque mondiale d'encres de tatouage avant interdiction des pigments bleu et vert et après (théoriquement à partir 2023 », SNAT, [Image] 29 octobre 2021. Image téléchargée le 13 décembre 2021. Disponible sur : https://syndicat-national-des-artistes-tatoueurs.assoconnect.com/articles/68129-petition-pour-le-maintien-de-certains-pigments-dans-les-encres-de-tatouage

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